C’est la fin des vacances d’été à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, des femmes retrouvent Malika Durif, une écrivain originaire comme elles d’Algérie, pour lire et échanger autour des textes qu’elles écrivent. Deux mois sont passés sans se voir. La plupart sont restées en France pour les vacances, certaines parce qu’elles s’ennuient là-bas ou pour s’opposer à leurs parents, d’autres parce que c’est la guerre civil, d’autres encore parce qu’elles n’ont plus personne à voir dans leur pays d’origine.
Le premier documentaire qu’Emmanuel Parraud réalise depuis à propos de l'amour et du sida (cf. 101 n°4) censuré depuis cinq ans, renoue avec les thèmes qui lui sont chers : huis clos catalysant une dynamique de groupe suivi sur une longue durée par une équipe minimale qui capte ainsi les problèmes de l'émigration, de l'intégration, à travers les expériences particulières d'anonymes réunis le temps d’un stage ou d'un atelier. à Vaulx-en-Velin, quatre femmes décident de se réunir pour écrire. Malika, écrivain, accepte d'animer ce qui deviendra un atelier hebdomadaire. Une expérience que les hommes poursuivent également de leur côté. Ce qui aurait pu n’être qu’un témoignage sociologique sur la vie dans les banlieues devient, par la grâce d'un style volontairement anti spectaculaire, un véritable champ d'exil à cinq voix, réflexion sur le récit, la fonction de la fiction comme refuge, l’impuissance de dire ce qu'on devine au détour des textes écrits et lus par ses femmes : le déchirement causé par le déracinement ; car ce cinéma en demi-teintes, cinéma du hors champ, celui du pays perdu, « là-bas », dont il faut bien faire son deuil, permet aux participants d'aborder un des sujets tabous de notre bonne conscience plurielle : la France «terre d'accueil » assimile les « différences » en un brassage consensuel et enrichissant des cultures effectué dans un enthousiasme mutuel. Il n'est point bon d'exprimer la douleur et les problèmes causés par la sensation de perte d'identité culturelle, les difficultés d'adaptation au pays des droits de l’Homme. L'auteur en a fait la triste expérience lors de son documentaire précédent. Il récidive cette fois ci, utilisant l'ellipse comme critique. Le film, construit comme une fiction classique (unité de lieu, de temps, d’action) mais dont le suspense repose sur la possibilité de dire, culmine lors de la rencontre mensuelle de l'atelier d'écriture féminin avec l'atelier masculin. Les hommes, dont certains sont les maris des participantes, exilés politiques pour la plupart, expriment leurs difficultés d'adaptation sociale et affective au modèle français régissant les rapports de couple, bien que progressistes. L'une des participantes réplique : « ça marche mieux avec les mariages mixtes parce qu'on sait dès le départ ce qui ne va pas ». L’écrivain, Malika, dont on sait seulement qu'elle a traversé une phase de stérilité créative due à la souffrance du déracinement, répond, seul élément personnel qu'elle confiera : non, je pense qu'il y a des cultures irréconciliables, mon père était allemand issue du nazisme et ma mère berbère issue du colonialisme, c'est un déchirement. On n'en saura pas plus. Il y a des choses qu'on ne peut dire. « Il n'y a pas de mot » disait l'une des participantes lors de son retour d'Algérie. Chronique du travail de deuil, le film ne propose aucune solution, ni aucun jugement.
Michèle Rollin, Festival de l'immigration,
le 5 avril à 11h 40 du matin.
L'expression cinématographique cherche par le moyen des images et des sons le chemin qui conduit aux régions ignorées des êtres et des choses, non par curiosité ou délectation, mais pour y trouver ou, plus exactement, pour y rejoindre leur secret.
Jean Grémillon
Ce qui se parle et ce qui s'écrit, ce n'est pas la même chose ; on ne dit pas ce qu'on écrit et on n’écrit pas ce qu'on dit. L'écriture nous entraîne ailleurs que la parole. Pour peu, bien sûr, que l'on accepte de s'abandonner à ce qui arrive dans l’écriture.
Je voulais que chacune parle sa propre langue, trouve sa propre voix, son souffle et son rythme les plus intimes. Pour cela il convenait d'oublier ce qui avait été appris à l’école. A cet égard déclarer d'emblée que l'orthographe et la grammaire ne m'intéressaient pas a eu un effet immédiatement libérateur.
Il convenait également de faire sauter d'autres verrous, non moins paralysants, comme par exemple le sentiment « d'avoir trop à pas dire » ou, au contraire, de « n'avoir rien à dire ».
Ma tâche a d'abord consisté à dénouer cette crainte afin que la langue cessant d'être un écueil, devienne un vrai médium auquel il devient possible de s’abandonner ; plus encore : un vecteur par lequel il devient possible de se laisser porter.
Mon rôle - celui « d’éveilleuse d’écriture », pour reprendre la belle image de Michel Reverbel - fut donc de permettre aux participantes « d'entrer en écriture » et de prendre pied dans cet espace de liberté qu'est l'écriture, sans toutefois que cette liberté ne soit ressentie comme source d'angoisse. Ma tâche consistait à les accompagner en leur prodiguant des appuis, des points de départ, des « déclencheurs », une sorte de fil d'Ariane qui leur permettrait d'amorcer cette plongée en elle-même a laquelle je les avais conviées dès le début.
Cette notion d'accompagnement me paraît fondamentale. Car l'aventure de l'écriture reposant sur un travail souvent douloureux de la mémoire, de l'enfoui, du secret, comporte des aspects fragilisants pour les « écrivants » et l'atelier d'écriture ne peut exister que grâce à l’écoute, l’échange, le partage.
L'atelier a lieu une fois par semaine et dure de deux heures à deux heures et demi. Son déroulement - sans être immuable - commence par la lecture à voix haute du ou des textes écrits par chacune des participantes au cours de la semaine, sans consigne formelle. Ces textes, parfois fortement chargés d’émotion, sont toujours l’occasion d'un échange, car ils éveillent chez les autres des échos, des réactions, qui, à leur tour, font rebondir le désir d'écrire, le nourrissent, le provoquent. La lecture à voix haute au sein de l'atelier trouve un prolongement un peu différent, moins émotionnel, mais important et nécessaire, dans des lectures publiques.